Écrire la danse, est-ce la tuer ?

(ou comment l’appellation « art vivant » explique que la danse ne s’écrive en principe pas)

De fait, l’écriture de la danse, qui est aussi sa mémoire, est souvent ignorée. Et lorsqu’elle ne l’est pas, elle est critiquée. L’écriture de la danse serait inefficace, inutile; scolaire, réductrice, voire castratrice. Elle ne concernerait ou ne fabriquerait que des danses sans intérêt.

Il est vrai que cette écriture peut être associée à des formes de danse destinées à marquer les corps, à les former, les déformer, les contraindre, ou les enrôler. Elle serait alors le prélude d’une gymnastique presque militaire : et sa fonction serait de renforcer la discipline, de faire entrer dans les corps comme dans les esprits qu’il n’y a rien de tel que l’obéissance.

Cela dit, quand la danse est érigée au rang d’un art, elle est également discipline de fer. Et elle nécessite elle aussi un contrôle sur la posture, le mouvement, le poids, la coiffure, l’habillement. Cette danse académique, pourtant, ne se note pas. Comment ne remarque-t-on pas que l’absence de l’écriture de la danse ne garantit pas qu’elle soit libre ? Ou encore qu’une danse sans écriture risque d’encourager le monopole de son savoir par une élite — que forment ensemble chorégraphes et maîtres de ballet — et donc une direction des corps forte, voire rigide?

La danse académique et la danse classique ne sont pas transmises par la notation ou l’écriture. Elles le sont par des croquis, des huiles et des sculptures. Et l’arrêt sur image, loin de figer la danseuse, devient le témoignage de la fluidité. Sans tuer le geste, le peintre, sensible, semble l’avoir pris au vol, délicatement, pour le déposer sur sa toile. La danse n’est donc pas que rigueur. Saisie, aurait-elle quitté l’éphémère ? Ou alors l’écriture de la danse l’aurait-elle rejoint ?