La gravure de Jacob Gheyn II ouvre l’exposition Interscrire la danse : elle est là pour poser quelques questions.
D’abord, la danse est-elle propice à la dissimulation de l’identité ? On peut se le demander, parce qu’en dansant, le mouvement du corps est en avant plutôt que le visage et la parole. Sans compter que les visages des danseurs sont parfois cachés par des masques. Ainsi, la danse suppose peut-être une forme très particulière d’abandon de soi.
Ensuite, la danse suppose-t-elle une invitation à relativiser les liens sociaux ? Cette seconde question se pose également face à la gravure de Jacob Gheyn II, car c’est un trio qui y est dépeint, et la composition est ici faite d’un couple et d’un·e intrus·e. L’homme et la femme du couple se tiennent côte à côte et dos aux spectateurs ; l’intrus·e leur fait face, et a un cœur dessiné sur le dos de sa main droite tandis que sa main gauche invite quelqu’un, mais qui ? à sortir du cercle dansant. En somme, la scène pourrait bien exemplifier que la danse peut non seulement faire trembler les couples sur leurs bases, mais aussi fissurer les normes sociales : en dansant, il s’agit précisément de se détacher des rôles et des genres assumés socialement, et d’entrer dans un jeu de séduction très ouvert, avec les partenaires, comme avec le public.
Enfin, la danse, potentiellement favorable à la dissimulation de soi comme à la dissolution des mœurs, pourrait-elle déboucher sur un châtiment divin ? C’est peut-être ce qu’annonce le nez postiche du personnage masculin qui se trouve tout à droite de la gravure. La granulosité de ce nez pourrait en effet renvoyer à la petite vérole.
En somme, la première image de l’exposition Interscrire la danse en annonce tous les enjeux : questionner la danse comme objet et comme sujet de représentation. Ces représentations, inscriptions ou interdictions, idéalisent des arts chorégraphiques, puis les dénoncent ; les définissent puis les remettent en question… et, ensemble, elles en font un éloge qui n’est pas sans paradoxes.