« Chorégraphier »

Baron, Auguste Alexis Floréal, Lettres à Sophie sur la danse, Paris, Dondey-Dupré, 1825 planche 4 © MCTS. Bibliothèque d’art et d’archéologie de Genève. Cote : BAA JH 53
Baron, Auguste Alexis Floréal, Lettres à Sophie sur la danse, Paris, Dondey-Dupré, 1825 planche 4 © MCTS. Bibliothèque d’art et d’archéologie de Genève. Cote : BAA JH 53

Contrairement aux Lettres sur la danse de Jean-Georges Noverre, qui présentaient une théorie de la danse, les Lettres à Sophie consistent en une histoire de la danse. L’auteur y fait preuve d’une certaine ironie. Parodie-t-il le genre épistolaire, le texte sur la danse, ou les deux à la fois ? Le lecteur en jugera, en lisant les Lettres ou les sept entretiens qui les suivent, et où l’élève et quelques invités dialoguent avec le maître.

Les quatorze textes qui forment les Lettres à Sophie sont organisés selon une logique thématique. Ils décrivent les arts chorégraphiques dans une perspectives téléologiques. Et ils s’ouvrent et se concluent par des partitions chorégraphiques.

Baron, Auguste Alexis Floréal, Lettres à Sophie sur la danse, Paris, Dondey-Dupré, 1825 © MCTS. Bibliothèque d’art et d’archéologie de Genève. Cote : BAA JH 53
Baron, Auguste Alexis Floréal, Lettres à Sophie sur la danse, Paris, Dondey-Dupré, 1825 © MCTS. Bibliothèque d’art et d’archéologie de Genève. Cote : BAA JH 53

La Chorégraphie, ou l’art de décrire la danse, paru en 1700, à Paris, est présenté par Raoul-Auger Feuillet. L’ouvrage marque le début des publications de telles partitions qui permettent la transmission de pièces chorégraphiques du style de la belle danse, du théâtre à la cour, et retour. Cité par Baron dans le second entretien, il donne quelques clefs de lecture des partitions :

«  Moi — Il s’est formé une sorte d’art, nommé chorégraphie, avec lequel on écrivait la danse à l’aide de différents signes, comme on écrit la musique. Les Égyptiens avaient, dit-on, inventé des caractères hiéroglyphiques pour représenter la danse. Les Romains avaient découvert une méthode dont je vous ai parlé dans mes lettres, pour peindre le geste et l’espèce de danse nommée saltation. Les modernes perdirent cet art ; mais, en 1588, il fut retrouvé, au moins à ce que prétend Furretière, dans son dictionnaire historique, par un nommé Thoinet [sic] Arbeau, que quelques uns disent avoir été chanoine à Langres, et qui y fit imprimer un traité qu’il intitula Orchésographie. Je ne sais si ce livre existe encore quelque part ; je n’ai jamais pu me le procurer. D’autres assurent que la chorégraphie nous est venue de Hollande. Quoi qu’il en soit, Beachamps, danseur sous Louis XIV, lui donna une nouvelle forme, et en fut déclaré l’inventeur par arrêt du parlement. Le seul traité de chorégraphie que j’aie lu a été composé par MM. Feuillet et Desaix, maîtres de danse, et gravé à Paris en 1709 et 1713. Le hasard me fit tomber un jour ce volume sous la mais ; quand je l’ouvris, je le pris pour le grimoire de quelque livre de magie. D’une cinquantaine de danses qui s’y trouvent gravées, j’en ai détaché seulement deux, et les ai mises dans mes notes, pour vous les montrer, si l’occasion s’en présentait ; les voici ; l’une est une danse de Pécour, que l’on nomme La Conty, et l’autre est un couplet des Folies d’Espagne, avec un accompagnement de castagnettes.

Sophie — Ah, mon Dieu ! qu’est-ce que c’est que toutes ces lignes les unes dans les autres ; ces ronds, ces points, ces petites barres ? Moi — […] [la] page représente la salle de danse elle-même. L’air noté tient, pour ainsi dire, la place de l’orchestre. Dans le fond de la salle, sont la danseuse, sous la figure de deux demi-cercles, et le danseur, indiqué par un seul que vous voyez en bas de la page. […] Les grandes lignes perpendiculaires ou courbes qui parcourent toute la page tracent le chemin que doivent parcourir dans la salle le danseur et la danseuse : ce chemin est coupé par autant de petits lignes qu’il y a de mesures dans l’air. […] Viennent ensuite les pas ; leur figure est exprimée par ces lignes diverses qui coupent le chemin. Ils commencent au point noir, et finissent par une petite ligne, qui forme avec eux un angle plus ou moins aigu […]. Quand les deux pieds doivent agir en même temps, ou que deux ou trois pas sont tellement liés ensemble qu’il paraissent n’en former qu’un, ces pas sont alors réunis par une ligne courbe. »
Baron, Lettres à Sophie sur la danse, Paris, Dondey-Dupré, 1825, p. 197–199.

Mais pourquoi Baron publie-t-il des partitions chorégraphiques un siècle après qu'elles soient tombées en désuétude?